Patrice Talon et les artistes béninois sur les traces de Béhanzin dans les Antilles


13 janvier 2024

Le président Patrice Talon a inauguré, le 14 décembre dernier, en Martinique, l’exposition Révélation ! Art contemporain du Bénin, fer de lance du soft power béninois.

C’est au milieu du mois de janvier 1894, après une longue résistance, que le roi Béhanzin signa sa reddition et se constitua prisonnier auprès du général français Alfred Dodds. En mars de la même année, le souverain d’Abomey fut exilé en Martinique par les autorités françaises. Accompagné de quatre épouses, de ses trois filles et de son fils, il logea d’abord au fort de Tartenson, puis dans la villa des Bosquets, tout près de Fort-de-France. Surveillé, mais libre de ses mouvements, il demeura dans l’île jusqu’en 1906, date à laquelle il rejoignit l’Algérie, où il s’éteignit le 10 décembre.

Un vernissage présidentiel

Cent dix-huit ans plus tard, le vernissage en décembre de l’exposition Révélation ! Art contemporain du Bénin à la Fondation Clément a été marqué – fait exceptionnel pour un événement de ce genre – par la visite en Martinique de Patrice Talon. Voyage que le chef de l’État béninois n’avait pas effectué quand la même exposition s’était posée au musée Mohammed VI de Rabat (Maroc) – où le poids de l’Histoire n’est évidemment pas le même. Le président n’a d’ailleurs pas manqué de rappeler ses liens et ceux de son pays avec cette île des Antilles, « ce pays qui est aussi le mien par le sang que je partage avec un grand nombre d’entre vous ».

« Je suis en pèlerinage ici, dans la Caraïbe, et plus particulièrement sur cette terre de Martinique où furent déportés et soumis à l’esclavage des millions d’Africains, a-t-il ajouté ensuite. Notre histoire est commune, mais je ne suis pas venu pour remuer le couteau dans une plaie qu’il convient plutôt d’œuvrer à cicatriser. […] Les polémiques, les rancœurs les plus légitimes, ne doivent pas nous enchaîner dans le passé. » Rarement exposition d’art aura été aussi symbolique – et politique – que celle-ci.

L'exposition Révélation ! Art contemporain du Bénin © Présidence du Bénin

L'exposition Révélation ! Art contemporain du Bénin © Présidence du Bénin

Restitution des 26 trésors royaux d’Abomey

Révélation ! Art contemporain du Bénin est une nouvelle adaptation de l’exposition ouverte en 2022 au palais de la Marina (Cotonou)  à l’occasion de la restitution, par la France, des 26 trésors royaux d’Abomey pillés en 1894. Comme le confirme son chargé de mission, l’écrivain et dramaturge José Pliya, Patrice Talon a toujours souhaité que le retour des œuvres spoliées soit aussi une occasion de mettre en avant la créativité béninoise contemporaine.

D’où l’idée d’exposer des œuvres récentes réalisées par des artistes vivants, plus ou moins connus, et encore trop souvent achetées par des collectionneurs étrangers. Dans son introduction au catalogue de l’exposition, Patrice Talon rappelle que les trois statues de rois – Ghézo, Glélé et Béhanzin – restituées par la France sont a priori attribuables à un même sculpteur, Sossa Dede. « Sans cet artiste, sans son talent et sa créativité, ces chefs d’œuvre que nous admirons tous aujourd’hui n’existeraient pas, écrit-il. “C’est au bout de l’ancienne corde qu’on tisse la nouvelle”, dit le proverbe. Sans Sossa Dede et les autres du temps passé, il n’y aurait sans doute pas d’Yves Pèdé, de Romuald Hazoumè, de Moufouli Bello, de Julien Sinzogan, etc. »

S’affranchir du passé

Les œuvres restituées ne pouvant pour l’heure pas voyager, elles accompagnent aujourd’hui en photographies les créations contemporaines, constituant la première partie (« Trésors royaux du Bénin ») de l’exposition Révélation !. Les Martiniquais qui connaissent l’histoire de Béhanzin doivent donc se contenter d’une image de sa représentation anthropozoomorphe en roi-requin – comme de celle de son « asen » (autel portatif), étrangement réalisé avant sa mort alors que ce n’est habituellement pas le cas… Pour le reste, ce sont des œuvres bien réelles que les visiteurs peuvent admirer dans l’ensemble des espaces de la Fondation Clément, selon un parcours de visite divisé en trois parties : « Récurrence-Variation », « Transition(s) », « Transgression-Hybridation ». Un parcours pensé pour montrer comment le passé peut influer sur le présent et comment le présent peut s’affranchir du passé.

L'exposition Révélation ! Art contemporain du Bénin © Présidence du Bénin

L'exposition Révélation ! Art contemporain du Bénin © Présidence du Bénin

Présence-absence du roi Béhanzin

Chacun trouvera, parmi les œuvres exposées, matière à satisfaire sa curiosité, l’exposition explorant une grande variété de médiums et de thèmes dans une constante recherche d’expression universelle. Mais ici, à la Martinique, certaines œuvres prennent une dimension particulière. C’est le cas des deux vastes toiles à l’acrylique de Roméo Mivekannin (38 ans), qui reprennent des images d’archives conservées à la Bibliothèque nationale de France (BnF) et autrefois utilisées par la propagande française. Les deux concernent l’exil du roi Béhanzin et leurs titres sont ceux des photographies qui ont servi de modèles : « Le roi Béhanzin et ses proches au début de l’exil, fort Tartenson, Martinique, novembre 1894 » et « Algérie – Béhanzin, ex-roi du Dahomey, sa famille et sa suite ». Le souverain déchu y est représenté en noir et blanc avec une dizaine des siens – à ceci près que le visage d’une des femmes de sa suite a été remplacé par un autoportrait de l’artiste aux tons bleutés. « J’interroge les récits invisibles, explique sobrement Mivekannin. Je travaille à partir de photographies qui ne sont pas en circulation au Bénin. Les rois y sont des êtres divins non représentables, c’est pourquoi les artistes utilisent le plus souvent des symboles pour les évoquer. »

Si le passé demeure souvent présent en filigrane, que ce soit en lien avec le riche patrimoine béninois ou avec son histoire tourmentée, la plupart des artistes présentés s’évertuent à transformer le plomb en or. C’est notamment le cas de Dimitri Fagbohoun (52 ans), qui travaille sur la résilience et dont l’œuvre Wings – un mobile représentant des ailes composées de cheveux féminins tressés – évoque « un envol, une histoire d’ascension, presque de résurrection ». Une idée de transmutation qu’il approfondit avec deux élégantes peintures à la poudre d’or sur fond noir, Around Midnight et The woman in us, représentant de manière abstraite un astre et « une sorte de petite déesse africaine ».

Soft power béninois

Après le Bénin (220 000 visiteurs de 78 pays), le Maroc et la Martinique, l’exposition Révélation ! poursuivra son voyage aux États-Unis, puis dans la métropole française, à la Conciergerie (Paris), au mois d’octobre 2024. Elle est aujourd’hui le fer de lance le plus visible du soft power béninois à l’étranger. « Le Bénin a enclenché avec sa diaspora la dynamique de la restitution et celle de la révélation de son patrimoine, a déclaré en Martinique le ministre de la Culture Jean-Michel Abimbola. C’est l’un des rares pays, voire le seul pays africain à mener cette politique culturelle. Au Maroc, c’est le fait du roi. En Afrique du Sud, c’est le secteur privé. Mais au Bénin, c’est l’État qui impulse. Deux milliards d’euros ont été investis pour soutenir la politique publique des arts et de la culture et faire de notre pays une destination de référence en Afrique de l’Ouest. »

Le pays, qui reçoit moins de 500 000 visiteurs par an aujourd’hui, entend dépasser la barre des deux millions d’ici à 2030 en séduisant, notamment, la diaspora et les afro-descendants à la recherche de leurs racines. Pour ce faire, il mise sur des événements temporaires, comme cette exposition ou sa présence à la Biennale de Venise en 2024, mais surtout sur ses infrastructures. « Cette politique publique de la culture s’appuie sur une volonté d’embrasser notre passé, de l’explorer, de le décrypter et de le transmettre à travers des musées, des centres d’interprétation, des routes culturelles, explique Coline-Lee Toumson-Venite, chargée de mission du président de la République. Nous sommes dans une approche d’aménagements culturels à partir des gisements culturels issus du patrimoine immatériel. Il y a une volonté de doter le pays de vaisseaux amiraux qui seront des leviers d’entraînement territoriaux à Cotonou, Porto-Novo, Ouidah, Abomey… »

Art, paix et courbaril

Outre être créateur de valeur, le secteur culturel est une force de paix. « L’art est le meilleur moyen de rassembler », déclare notamment Patrice Talon. Coline-Lee Toumson-Venite ne dit pas autre chose quand elle soutient : « L’aire d’influence de la culture béninoise est importante en Afrique de l’Ouest et aux Amériques. La réparation mémorielle passe par la connaissance de toute cette histoire et les trois façades atlantiques doivent engager ce travail car les écarts de connaissances créent des failles et des fissures. »

Attaqué comme souvent quand il organise une exposition consacrée à l’Afrique sur un domaine qui fut celui d’une ancienne plantation, le président de la Fondation Clément, Bernard Hayot, a martelé la même idée, en rappelant qu’en 2001, Aimé Césaire était venu planter un courbaril, un arbre tropical à feuille double, à l’Habitation Clément. Le poète et homme politique avait alors déclaré : « Le courbaril, c’est-à-dire l’enracinement dans le roc s’il le faut, mais vainqueur grâce à l’entêtement et au vouloir vivre. / Le courbaril : l’appui sur la profondeur du sol pour l’élan médité et patient. / Le courbaril, la démarche lente, mais résolue vers l’avenir. »

Source Jeune Afrique

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